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Le parfum Ambre sultan, une ode à l’arabité

Serge Lutens est né à la parfumerie en 1968, à l’occasion d’un premier voyage au Maroc. Ambre sultan, son deuxième parfum, raconte cette émotion de la découverte d’un pays par ses senteurs. C’est précisément dans cette période que le créateur prend l’habitude de prélever partout où il va des « odeurs » qu’il conserve précieusement sans plus d’arrière-pensée. Le petit morceau d’ambre déniché dans un souk de Marrakech, et oublié dans une boîte en bois de thuya, devient la préface d’un parfum. Ambre sultan est un voyage des sens au cœur du monde arabe, un monde qui lui paraissait négligé, méprisé.
Celui qui était encore il n’y a pas si longtemps photographe et maquilleur pour Shiseido est en pleine psychanalyse et replonge dans son enfance populaire lilloise. « J’avais besoin de nous sortir, ce monde arabe et moi, de cet état d’esprit condescendant qu’on nous renvoyait sans cesse. Ambre sultan, c’est ma réponse en essences, appuyée par la rencontre du ciste labdanum – cette résine qui reste collée à la barbiche des chèvres – et la vanille noire de Madagascar. Il témoigne de mes premiers pas dans la parfumerie et de ma volonté de déranger ou tout au moins de prendre de la distance avec ce qui se faisait. »
Il entend ainsi remettre au centre l’ingrédient et sa noblesse par l’adjonction d’un qualificatif qui a le don, non pas d’expliquer, mais au contraire de brouiller les pistes. Il y a eu juste avant Féminité du bois, il y aura un peu plus tard Cuir mauresque et Tubéreuse criminelle. Désigner aussi frontalement l’identité olfactive d’une composition en mentionnant l’ingrédient ne se pratiquait guère au début des années 1990. « “Ambre” est un mot à la sonorité merveilleuse auquel j’ai associé celui de “sultan” pour l’honorer, le couronner, l’auréoler », explique l’amoureux de Marrakech.
C’est aussi une façon pour l’esthète qu’il est d’affirmer sa volonté de pratiquer une parfumerie arabe – et pas orientale –, un peu comme s’il rédigeait un manifeste qui ne dirait pas son nom. Ce conteur d’histoires dit : « Les mots, les noms sont importants, ils décident de l’attirance qu’on aura ou pas pour un parfum. Ils impulsent le geste de s’en saisir ou non. Comme le titre d’un livre, Voyage au bout de la nuit, Notre-Dame des fleurs, La Place de l’Étoile, ils révèlent un peu du sel ou de l’acide du roman. Ils font remonter nos rêves comme des parachutes, des goélettes nous portant vers l’ailleurs. »
Après les années où il préférait revendiquer la matière première, il décide de s’en éloigner et de s’amuser des mots comme un gamin, avec un goût assumé du calembour. Ses parfums les plus autobiographiques s’intitulent Fille en aiguilles, Ecrin de fumée ou encore Bourreau des fleurs.
Retrouvez ici tous les épisodes de la série « Nom d’un parfum ! »
Lionel Paillès
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